« Bike Nation » (la Nation du Vélo) commence par l’histoire de l’auteur lui-même, le journaliste britannique Peter Walker, qui a réussi à prendre confiance en lui grâce au vélo. Asthmatique, il s’était éloigné de l’activité physique dans sa jeunesse. L’impact sur son corps était inévitable : il ne pouvait plus courir, et cachait ses jambes « fantomatiques et pâles » dans un pantalon trop large. « Je ne faisais plus confiance à mon corps ». A 22 ans il décide, à la surprise de tous, d’arrêter sa carrière académique pour devenir livreur à vélo. L’impact sur lui était spectaculaire, physiquement et psychologiquement : le vélo lui a montré qu’il était capable de faire des efforts. « Soudain, j’étais devenu invincible ».
Bike Nation (2017) |
Tuer sans inquiéter
Si le vélo est un bien tellement spectaculaire pour l’humanité, pourquoi on ne développe pas plus son usage au Royaume-Uni ? Réponse : la dangerosité des routes. L’auteur dénonce ce qui maintient cette dangerosité : sa normalisation. Alors que le moindre décès dans une usine déclenche une multitude d’enquêtes, une mort sur la route reste juste un « accident » parmi des milliers d’autres. Cette banalisation du danger crée une culture de la voiture « qui amène des millions de personnes qui se considèrent responsables, gentils et précautionneux, à monter dans un véhicule motorisé pour mettre la vie d’autres personnes en danger de façon insouciante et routinière ».
Démocratiser la ville
La liste des bienfaits du vélo dressée par l’auteur est impressionnante. Le vélo est bon pour la santé, de plusieurs manières. L’activité physique renforce non seulement le corps, mais incite en même temps la personne à manger mieux et à consommer moins d’alcool et de tabac. C’est une spirale positive. Le vélo est aussi le moyen de déplacement le plus démocratique : il est bon marché (presque comme la marche), il libère les enfants du besoin d’un chauffeur et il intègre une population clouée à la maison faute de moyen de déplacement. Il libère aussi les personnes âgées et les personnes handicapées qui ne peuvent ou veulent plus conduire une voiture. Le vélo crée une ville inclusive: une piste cyclable montre qu’un citoyen sur un vélo de 30 euros vaut autant qu’un citoyen dans une voiture de 30.000 euros.
Générateur de confiance
Pour développer l’usage du vélo, il faut réduire l’usage des modes de déplacement motorisés. Cela n’est pas une punition mais, explique l'auteur, fait émerger quelque chose d’extrêmement positif : le sens de la communauté ou, comme on dit en français « l’esprit village ». Les études montrent que dans une rue avec moins de trafic, les habitants ont cinq fois plus d’amis localement ! Pourquoi ? Car dans ces rues plus calmes et moins bruyantes on échange davantage avec ses voisins. Ces échanges génèrent de la confiance, ce qui est la condition nécessaire pour créer un environnement dans lequel on est heureux. Le système vélo contribue à cette « humanisation » de la ville.
« In group » et « out group »
L’auteur se fâche contre la stigmatisation des cyclistes. Pourquoi toujours parler « des cyclistes qui grillent les feux rouges » ? Jamais on ne conclura, en regardant un automobiliste passé au feu rouge, que « les automobilistes » font n’importe quoi. La raison est que les automobilistes ne sont pas une minorité mais représentent la norme. Cette normalisation est soigneusement entretenue par la presse qui, en traitant des vélos, parle souvent d’« eux » alors que les automobilistes, c’est « nous ». Le monde est divisé en deux groupes : le « in group » d’automobilistes normaux, et le « out group » de cyclistes bizarres. Cette séparation explique pourquoi les automobilistes klaxonnent et frôlent facilement les vélos : ils sentent une pression sociale très forte pour ne pas ralentir les membres de leur « in group », même si cela met en danger les membres du « out group ». La séparation conceptuelle entre « eux » et « nous » conduit à des constats faux et manipulateurs. On peut lire par exemple que les vélos « confisquent la route », comme si la route était la propriété d’une catégorie d’usagers !
La choléra
Pour les militants du vélo, le livre regorge de bons conseils : ne prenez pas les réseaux sociaux pour le monde réel, discutez avec les personnes qui décident. Ne leur parlez pas de pistes cyclables, mais de la ville qu’ils ont envie de créer pour les citoyens. Faites comme à l’époque du choléra : « nous avons la solution pour votre problème : pour éviter l’infection il faut séparer l’eau potable des eaux usées, et pour cela il faut ouvrir les rues pour créer une nouvelle canalisation. Etes-vous d’accord ? » Cette approche peut fonctionner pour le vélo : la création d'un réseau cyclable est un remède qui évite de nombreux morts et crée des villes plus sûres, attractives et équitables.
Victim blaming
Walker exprime sa colère concernant le conseil de sécurité donné habituellement aux cyclistes : mettez un gilet fluorescent et faites attention ! Pourquoi mettre ainsi la responsabilité de la sécurité des cyclistes sur le dos des cyclistes (victim blaming), alors que la sécurité dépend de la façon dont les élus aménagent nos routes ? Quel parent accepterait qu’une école recommande aux enfants de goûter leur déjeuner avec attention car les cuisiniers font de leur mieux pour ne pas utiliser de la viande avariée, mais parfois ils peuvent être distraits et faire des erreurs…
Je remercie beaucoup Walker pour ce magnifique plaidoyer pour le vélo, dont il décrit parfaitement la puissante capacité à rendre nos villes plus vivables. Le vélo n’est pas qu’une question d’aller de A à B écrit-il. « C’est aussi une question de s’arrêter, de faire une course, de se mélanger aux autres, bref, d’être humain ».