Le jeudi 4 décembre 2014 j’étais témoin d’une belle célébration de la vie du philosophe grec Kostas Axelos (1924 – 2010) à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) à Paris. L’occasion était importante : son épouse Madame Katherina Daskalaki, Ambassadeur de la Grèce auprès de l’UNESCO, a légué l’intégralité de l’œuvre de son mari à l’ENS. J’étais touché de voir ainsi la vie et l’œuvre d’un philosophe contemporain rejoindre pour toujours une institution qui en assurera désormais l’intégrité physique, l’analyse intellectuelle et surtout son accessibilité au plus grand nombre. Ce beau et important geste s’inscrit clairement dans le mandat de l’UNESCO, qui (i) protège le patrimoine documentaire en constituant une « Mémoire du Monde » et qui (ii) promeut le libre accès à l’information scientifique.
Kostas Axelos fut un penseur grec qui avait trouvé exil
en France. Il n’a pas passé sa vie d’adulte chez lui mais ailleurs. L’effet de
l’exil est qu’il vous éloigne de l’expérience-qui-va-de-soi et vous offre la sensibilité
aiguë typique de l’étranger. Car loin de chez vous, vous êtes amené à approfondir
quotidiennement les liens entre la vérité et l’errance. Petit à petit, vous vous éloignez de la pensée qui ne consiste qu’en réponses toutes faites. Vous finissez par ne
plus exiger toujours la réponse qui clôture la question, puisque chaque réponse
n’est qu’une question qui se cache.
Prenez la mesure de la tâche : il est hautement difficile
de quitter le registre de la maîtrise ! Il faut être capable de mettre de
côté sa fierté d’homme et accepter que la pensée ne parvienne plus à dissimuler
sa propre impuissance. Le poète, lui, a moins de mal que le penseur à se lancer
dans l’errance. Il cherche plus librement me semble-t-il, à coups de grandes envolées métaphoriques et imaginaires. Il n’a pas peur. Son bagage d’adulte
ne l’empêche pas de dessiner comme un enfant. Le penseur en revanche semble prisonnier
d’un exercice questionnant et répondant. Il semble entravé par le sérieux de la méthode, comme le
mathématicien qui est obligé de tenir compte des rapports logiques entre les
chiffres. A moins de changer radicalement de méthode, le penseur finit par se crisper.
Pour éviter la crispation il faut accepter que le monde
est un jeu sans fin et sans destination. Axelos a tenté de penser ce « jeu du monde » et de nous en faire vivre la tracée. Il l’a
même dessiné le jeu du monde:
Pour saisir et exprimer ce qui existe, il lui a fallu aussi
inventer un langage qui ne fixe pas et qui ne cherche pas de solution
définitive et parfaite. Lisez « Ce qui advient » pour vivre l’expérience
particulière d’une telle pensée itinérante. Si vous aimez la randonnée et l’aventure,
vous apprécierez. Elle se lit comme un journal intime lardé de confrontations
et d’instants lumineux. Ce n’est pas un manuel ennuyeux qui met l’être « en
système » comme on met des asperges en boîte. Ce n’est pas non plus un chemin
autour d’un simulacre d’être mais une errance en plein cœur de l’existence et de la vie. Axelos a soigneusement
évité d’aplatir l’énigme, le secret et l’impensé du monde pour les laisser vivre
et s’exprimer à travers sa pensée. C’est une philosophie très personnelle,
délicate et sensible.
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