Il existe un proverbe italien qui
dit: « Chi pianta datteri non ne
mangia » (celui qui plante des dattes n’en mangera point). Ce proverbe
est basé sur l’idée selon laquelle un dattier ne donne pas de dattes avant 100
ans. Ce proverbe joue avec notre capacité à donner du sens à nos gestes
durables. Il nous décourage en nous montrant que le chemin du dattier est long
et que nous n’en goûterons même pas les fruits. Pourtant nous sentons bien la
nécessité de construire un monde durable, car sinon il risque de ne plus y
avoir de dattes.
Ce qui nous motivera et guidera sur
le chemin du monde durable est le sens
que ce monde nous inspire. Ce sens, Jean de la Fontaine l’a bien décrit dans
sa fable intitulée « Le vieillard et les trois jeunes hommes ». Trois
jeunes se moquent d’un vieillard en train de planter un arbre et mettent en
doute le sens de son geste : « à
quoi bon charger votre vie des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous? »
Il leur répond que toutes vies sont courtes et que « tout établissement vient tard et dure peu ». Se situer tôt ou
tard dans ce lent progrès vers le changement n’a donc pas de sens pour lui. Ce
qui a un sens pour lui en revanche est que le noyau soit planté. Et ce sens se
traduit pour lui par le plaisir de planter le noyau d’un monde de demain :
« cela même est un fruit que je
goûte aujourd’hui ». Il se trouve que les trois jeunes meurent l’un
après l’autre avant le vieillard, sans jamais voir le monde de demain. Ces trois morts confirment tragiquement le sens du geste du vieillard.
Tout ce que nous faisons ne prend
sons sens profond que dans une perspective à long terme et collective. Ce sens ne peut pas être trouvé dans le goût d'une datte qui n'a pas encore été récoltée. Ce sens peut cependant se savourer comme un avant-goût du monde
meilleur. Car bien que le monde meilleur sera toujours caché derrière l’horizon,
on peut déjà le voir et y contribuer activement ensemble.
L'importance de l'avant-goût dans la vie, je l'ai vécu de façon très forte en 2004 lors de mon voyage à pied de Saint-Jean Pied de Port (France) à Saint-Jacques de Compostelle (Espagne). Ce voyage n’était pas seulement magnifique en raison des beaux paysages que j’ai traversés, mais surtout car il me liait à un but particulier que je partageais avec d’innombrables autres pèlerins. Comme beaucoup de pèlerins j’étais déçu d’arriver à Saint-Jacques, car le voyage était terminé et on avait perdu le but commun qui avait permis d’engager tant de repas, de conversations et de découvertes ensemble.
Je suis resté trois jours sur place à Saint-Jacques car j’avais marché quand même 764 kilomètres pour venir jusque-là ! Je pensais donc que cela devait avoir un sens que d’y passer au moins un peu de temps. Eh bien, pas dans mon expérience. Pour moi le sens et le plaisir ne venaient pas des dattes métaphoriques que je pensais goûter à la fin du voyage. Ils découlaient plutôt de l'aventure elle-même qu'un dattier invisible avait sous-tendue et orientée du début jusqu’à la fin. Non pas comme un paradis céleste inaccessible, mais comme un paradis humain concret auquel j'accédais tout au long du voyage sans en être conscient.
J’espère qu’il en sera de même pour
le voyage vers le monde durable qui, une fois « terminé », ne nous
offrira peut-être pas non plus toutes les dattes qu’on espère y goûter. Que
cette perspective ne nous empêche pas de partager le plaisir et l’effort de le
construire ensemble!
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