Wednesday, October 29, 2014

The frustration and joy of untranslatability



If you want to read a good book about Being, read Prose of the World by the French philosopher Maurice Merleau-Ponty. For him Being can only be understood as the “expression” of something, whether it’s meaning expressed in language or physical things expressed in our perceptual experience. Things are never things “in themselves” regardless of me looking at them or thinking about them. Not because the world is my invention, but because a “thing” always, always implies some kind of “access” to this thing. Whether you want it or not: being is always expression of being.

Expression here must not be seen as the “presentation” of a fully transparent meaning. Because just like the things we perceive in the perceptible world, even the meaning of words is never fully expressed. The tree I see can never be totally present to me because there are always a visual perspective and the “thickness” of the perceptual experience that make a total picture of the object impossible. The same goes for the meaning of words, which can never be fully captured even if you think you can. Let me show you this with an example.

You can jump from one language to another but those who speak several languages know that there’s always something you lose on the way, something you just can’t translate. For example I can get frustrated over the fact that in English and in Dutch you cannot take “du recul” and you cannot “assumer” a decision. Of course there are ways to express this by saying respectively that you take “distance” from the situation and that you “take responsibility” for a decision. But when you speak both English and French you will understand me exactly and vividly when I say that these solutions don’t quite cover the meaning of the original expressions in French.

This untranslatability is due to the fact that meaning is not something purely intellectual that a language points at. Meaning is rather something that sticks to the very “body” of the words as you read or pronounce them. That’s why I cannot fully translate the French expressions "prendre du recul" and "assumer une décision": to convey their meaning I have to perform the expressive act of pronouncing the French words “je prends du recul” and “j’assume!”. 

This probably also explains why I like these expressions so much: they make me literally feel “richer” linguistically speaking. They give me access to a meaning – to an expressive engagement with other French speakers I must say –that I can’t even access in my native language. That’s quite an experience: it feels like you’re able to taste totally new tastes your tong couldn’t taste before. My challenge is to accept that this new French taste can be tasted only with the French tong and not with the Dutch or English ones. Did I ever speak about frustration by the way?


Twitter: @Oosterenvan

Monday, October 13, 2014

Kostas Axelos: Lettres à un jeune penseur



Pour comprendre la réalité et nous-mêmes, nous employons des termes familiers mais incompréhensibles. Comme si nous vivions dans un « esprit » lui-même vivant dans un « corps physique ». Comme si notre « pensée » se déroulait dans une zone intellectuelle loin des « évènements concrets » du monde sensible. Ces schémas simplistes sont suffisants pour assurer notre fonctionnement au quotidien. Cependant pour véritablement comprendre notre façon d’être au monde, il faudra inventer des concepts nouveaux et plus performants. Si vous voulez relever ce défi philosophique, permettez-moi de vous suggérer les sept « Lettres à un jeune penseur » (1994) du philosophe grec Kostas Axelos (1924-2010).

Axelos commence par mettre le lecteur en garde contre les pièges de la pensée facile et dualiste. Par exemple : nos pensées sont-elles la même chose que l’objet auquel elles se réfèrent? On dirait que non, puisque ne faut-il pas distinguer une « pensée de quelque chose » de la chose même? Cependant Axelos démasque ici l’un des « grands mensonges » qui nous empêchent de comprendre comment je peux parvenir à penser et à percevoir un monde extérieur. Car quoi que je pense de ce monde et quel qu’en soit mon vécu, mes pensées et mon vécu font déjà intégralement partie de ce monde. Il n’y avait pas d’abord un monde et ensuite une pensée : le monde contient la pensée « déjà en germe puisqu’il est question de lui ».

On pourrait rétorquer que ce n’est pas parce que je me mets à penser à l’arbre devant ma maison que ma pensée de cet arbre fasse intégralement partie de cet arbre. Cela semble logique, mais en réalité vous avez été piégé par votre tendance à chosifier le réel et à attribuer aux « choses » une réalité indépendante de nous. Pour le penseur rigoureux toutefois la question demeure: « qu’est-ce qui précède ? L’unité ou la déchirure ? » Car si je n’avais pas de corps pour sentir et voir les arbres, existeraient-ils vraiment ? Qui me le confirme et comment?

Bien sûr nous nous rassurons en permanence en nous disant que les arbres sont des choses qui existent indépendamment de nous. Mais dès qu’on questionne un peu cette évidence, elle s’effrite : « L’ombre que l’arbre projette est-elle réelle, est-elle un étant, une chose ? ». Pour l’arbre c’est exactement la même chose ! Si nous avons tant de mal à nous l’avouer, c’est que nous faisons l’impasse sur « le processus par lequel l’a priori est né a posteriori ». Nous faisons comme si l’arbre avait toujours été là, prêt à nous servir d’explication au moment où il nous arrive de penser à lui ou même de le voir. C’est ainsi que nous nous rassurons en postulant un monde plein de choses, comme une maman qui rassure son enfant en disant : « maman et ta chambre seront toujours là quand j’éteindrai la lumière ».

Le grand défi qu’Axelos lance enfin au jeune penseur consiste à remonter notre expérience des choses et du monde vers « ce qui reste, malgré tout, sans nom ». Cette chose sans nom n’est cependant pas une chose mais la distance entre nous et le monde qu’Axelos appelle une « déchirure ». Cette déchirure est suffisamment grande pour que le monde puisse apparaître à l’homme, et suffisamment petite pour que l’homme ne perde pas son appartenance au monde (son existence donc). Elle met l’homme en face d’une « réalité » qu’il ne maîtrise pas car la réalité est aussi le Tout qui l'enveloppe. Pour cela Axelos appelle le réel « à la fois contraignant et fantomatique » : nous sommes contraints de suivre son déploiement, mais à une certaine distance qui lui donne l’épaisseur et la perspective de notre expérience, image ou idée de lui.

Pour penser le paradoxe de cette expérience, Axelos envisage « une pensée qui ne propose aucun programme, aucune solution définitive, aucune consolation, aucun salut ». Car ce qu’il faut penser est le travail négatif qui déchire le réel en permanence et qui ne peut pas s’expliquer par le schéma dualiste d’un esprit qui rencontre une matière préexistante. Il faudra au contraire penser comment l’homme et le monde émergent ensemble d’un « centre problématique commun ». Il s’agit d’un travail difficile « dont personne n’est arrivé à bout ».

Personnellement je pensais que la philosophie résoudrait rapidement cette question grâce à quelques beaux concepts ontologiques (c’est-à-dire relatifs à l’être). Car pour moi la philosophie est comme une poésie de l'être qui entraîne votre esprit jusqu’aux confins du réel à coups de puissants métaphores. Au goût d’Axelos cette idée de la philosophie aurait peut-être été un peu frivole car, dit-il, « la grande pensée et la grande poésie ne fonctionnent pas avec des métaphores ». Je ne badinerai donc pas avec la philosophie mais poursuivrai ma lecture de l’œuvre d’Axelos dans l’espoir d’arriver aux confins du réel. Sans croire y arriver vraiment bien sûr, car le problème de l’existence ne peut se résoudre, seulement se creuser.

Sunday, October 5, 2014

Merleau-Ponty: The inside and ouside of feeling and thinking



Philosophers have always proposed solutions for the “problem of the world”: is there really a world outside us and how can we be so sure? The reason I immigrated to France in 1996 is because I found the most beautiful, elegant and attractive solutions for this fascinating problem in the works of French philosophers Jean-Paul Sartre and Maurice Merleau-Ponty. Here is a very short account of how Merleau-Ponty solves the problem of the world.

His philosophy is a reaction to the work of the father of modern philosophy, the French philosopher René Descartes. Descartes divided the realm of being in two categories: three dimensional objects (matter) and spiritual objects (mind). The idea is simple: there’s a three dimensional material world that exists outside my mind that can cause perceptions of it in my mind.

Merleau-Ponty however sees this theory not as an answer but rather as a reformulation of the problem: how can mind and matter communicate if they belong to completely different realities? His answer: mind and object can only influence each other if they don’t exist as independent entities but belong to the same world. But how can object and mind - body and soul - belong to one and the same reality?

For Merleau-Ponty the answer lies in the peculiar structure of the body. For him the body is not just a “mechanical” Cartesian thing that causes perceptions in the mind, but a living paradox that is always in between perceiving and being perceived:

“If my left hand touches my right hand, and if I then suddenly try to touch this touching activity of my left hand with my right hand, this perception always fails at the last moment: the moment I touch my left hand with my right hand, I stop touching my right hand with my left hand”.

Philosophy is not just about communicating ideas but also about how to communicate them. This passage in Le Visible et l'Invisible (1964) struck me by its beauty and finesse.

In other words: my left hand (the toucher) can feel my right hand (the touched) but only at the price of becoming a touched hand itself too! While Descartes considered thoughts and perceptions as mental things inside the mind, Merleau-Ponty understood that the mind can only touch objects if it partly “sacrifices” its mental nature by becoming a tangible being itself too. Touching is possible because it doesn't happen in the mind but in living flesh, which is touching and being tangible at the same time.

The beauty of Merleau-Ponty’s philosophy is that it also applies to seeing and even thinking. Like touching, thinking is not a process that happens inside a mind but an adventure that needs the exteriority of (spoken) words to happen. That’s why we experience thinking as “looking for words”: we don't put words on thoughts already available in our mind but on the contrary we actually discover our thoughts in the available words!

The poet knows how to use this material aspect of words to send our mind off in directions it would not be able to find inside itself. Why? Because the inside of the mind is empty, even non-existent.

Twitter: @Oosterenvan